Lumière “suprême” chez le cordonnier…

02/10/17

Surtout ne rien changer

En octobre de 2016 nous avions commenté quelques décisions de l’autorité espagnole de la concurrence (CNMC) concernant des barreaux d’avocats, qui généraient certains doutes conceptuels. C’est désormais au Conseil de la CNMC de se tirer de cet embrouillamini au sujet de l’acceptabilité des critères ou barèmes d’honoraires, car il devra trancher dans le dossier S/DC/0587/16 – COSTAS BANKIA… Pendant que nous attendions avec suspense cette prise de position de la CNMC, voilà qu’arrive un arrêt de la Cour suprême du 27 juillet 2017 qui – avec tout le respect dû  😉 – apporte quelques doutes (euh, pardon : des lumières!) sur l’évaluation des actes des chambres professionnelles sous l’angle du Droit de la concurrence.

Cet arrêt concerne une amende que l’autorité régionale catalane de la concurrence (Autoritat Catalana de la Competència, ACCo) infligea le 25 juillet 2012 à la chambre des agents immobiliers de Barcelone pour avoir (i) adopté dans la forme de normes générales certaines décisions anticoncurrentielles des organes du collège; et (ii) fait une recommandation collective de prix par la biais d’une liste d’honoraires. L’amende pour la première infraction s’élevait à 70.000 euros et celle pour la seconde, à 50.000 euros.

La chambre faisait appel et le 8 janvier 2015 la Cour d’appel de la Catalogne annula la décision de l’ACCO car le collège avait agi moyennant des normes adoptées tant qu’administration publique sur base d’un mandat légal (second fondement de droit). Par conséquent, disait pour droit la Cour catalane, si l’ACCO voulait agir contre la chambre elle aurait dû saisir les tribunaux du contentieux-administratif. En effet, au titre de l’article 12, 3ème alinéa, de la loi espagnole sur a concurrence (Ley de Defensa de la Competencia, LDC), les autorités de la concurrence peuvent faire appela devant cette juridiction contre “les actes des administrations publiques soumis au Droit administratif et des normes générales d’un rang inférieur à celui d’une loi desquels s’ensuivent des entraves au maintien d’une concurrence effective sur les marchés.” En revanche, l’autorité de la concurrence ne peut pas s’arroger le droit de réviser les actes d’un autre organisme lorsque celui-ci exerce un pouvoir administratif.

Désormais, la Cour suprême corrige la Cour d’appel régionale et, tout en cassant partiellement l’arrêt d’instance, donne raison à l’ACCo pour ce qui est de la seconde pratique. La Cour suprême rappelle une jurisprudence nationale classique qui distingue entre les actes qu’adopte l’administration dans l’exercice de son pouvoir de Droit public (ius imperii) et ceux qu’elle adopte comme simple agent économique sur le marché. Ensuite, la Cour suprême nie que que la pleine application de la LDC aux chambres professionnelles exige oublier cette distinction, comme certains l’avaient cru. Tout au contraire, disent pour droit les juges, cette distinction sert à identifier l’organe compétent pour réviser les actes d’une chambre professionnelle: lorsqu’ils émanent de l’exercice du ius imperii, l’autorité de la concurrence devra saisir les tribunaux et ce seront ces-derniers qui évalueront la compatibilité desdits actes avec la LDC. C’est uniquement lorsqu’une chambre professionnelle n’agit pas comme pouvoir public que l’autorité de la concurrence peut intervenir directement.

Vu cette nouvelle “clarification” de la jurisprudence (citons l’élégante description que la Cour de justice à faite de son propre arrêt Intel), nous nous interrogeons: S’agirait-il là d’un critère de distinction formel ou de fond? En d’autres mots, suffit-il d’inclure les accords des organes de direction d’une chambre professionnelle dans des normes ou alors de faire expressément référence à un pouvoir administratif pour éviter qu’une autorité de la concurrence puisse se saisir de l’affaire? O, inversement, faudrait-il analyser précisément le contenu de cette norme pour évaluer si la chambre professionnelle se borne vraiment à exercer ses seuls pouvoirs administratifs ? Qui plus est, qu’arriverait-il lorsque, par exemple, il s’agissait d’enquêter sur des déclarations d’un représentant de la chambre ou alors sur des publications sur la page Internet de la chambre et que les deux, mettons, dérivent d’une norme que ladite chambre professionnelle ait adoptée préalablement sur base de son ius imperii?

Nous nous attendons à un débat fort animé. Et à ce que les prochains dossiers de Droit de la concurrence concernant des collèges professionnels suscitent beaucoup d’intérêt… En attendant, c’est toujours le cordonnier qui est le plus mal chaussé.

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